Mon CM2
Je me rappelle mon CM2.
Je venais darriver en Guadeloupe avec mon petit frère de 3 ans et mes parents, revenus « enfin » au pays.
Dans ma classe de CM2, nous étions 4 « métropolitains ou négropolitains assimilés » :
- Anne, alsacienne avec son drôle daccent, lonque comme un chour chan pain, et dont le père avait été muté en Guadeloupe € son père cétait le chef de ma mère €,
- Stanie, avec ses couettes, ses perles, ses dents blanches-blanches-blanches € que je rencontre aujourdhui encore mais toujours par hasard, et dont le père travaillait aussi avec ma mère €
- Bruno, un chabin qui ne portait presque que des shorts € en coton, en satin, avec ou sans liseré, rouge, vert, jaune, bleu, il en avait des shorts ! € même par temps de pluie,
- et moi.
Tous les quatre, nous arrivions dans ce pays que nous ne connaissions pas ou si peu € toute petite, je ny avais vécu quune année, puis quelques mois pendant certaines grandes vacances
€.
Dans la cour, tous les enfants se connaissaient depuis la maternelle. Certains scélérats avaient même poussé le vice jusquà avoir eu la même nourrice.
Pour couronner le tout, notre maîtresse, Mme R. avait décidé de suivre sa classe de CM1 et de leur enseigner le CM2 aussi.
Nous étions parachutés dans cette classe soudée, réputée excellente, où les étrangers étaient épiés, écoutés, scrutés avant dêtre acceptés si, et seulement si, ils le méritaient.
Parce que nous étions des étrangers.
Cela ne se voyait pas € sauf pour Anne qui avait la peau si diaphane et fragile quelle se recouvrait de plaques rouges au moindre rayon de soleil, sans compter le mercurochrome dont on lui maculait les jambes à chacun des endroits piqués par les moustiques €.
Mais ça sentendait.
Nous « roulions » comme on dit là-bas : inexorablement, ce rythme, ce débit, ces intonations, ces expressions, les différences de notre parler nous trahissaient. Nous avions laccent parigot, laccent den-bas-là, laccent-Fwrans. € sauf pour Anne, décidément, qui venait dAlsache €
La moindre conversation dans la cour décole risquait de nous marginaliser un peu plus.
Alors, tous les quatre, tacitement, nous avons décidé d'appliquer un plan
à suivre...