Elle s'appelle Camille

Publié le par Jazz

C'est con la vie.

Cette histoire remonte à plus de 10 ans.
Il était pensif, différent, calme. Il avait ces bottines bleu foncé en daim. Quelque chose en lui disait qu'il avait vécu des choses.
Nous nous sommes aimés.
Fort. Si fort.
Mon premier amour.
J'ai cru que jamais je n'aimerais quelqu'un d'autre comme lui.
Et c'est vrai. J'ai aimé moins, ou était-ce davantage, par dépit ? J'ai aimé différemment.
Mon premier amour, mais pas le seul. Non.

La jalousie, le manque d'assurance, la distance, l'instabilité ont eu raison de cette histoire puis de notre amour.

Ce n'est qu'un an après cette séparation que nous nous sommes revus.
Lui avait le coeur libre, et moi, j'avais trouvé une autre victime à aimer. Ironie du sort, c'était celui-là même avec qui il croyait que je l'avais trompé. ¤ Mais pourquoi diable les hommes pensent-ils que je ne suis pas fidèle ? ¤
Il m'avait fallu attendre cet après-midi là et puis le jour d'après pour laver ma blessure avec les pleurs que j'ai versés, versés, versés, et enfin, la refermer.

Quand il a, près de deux ans après notre rupture, trouvé une autre à aimer, j'ai eu mal.
Oh, oui, j'étais contente pour lui, mais je n'étais plus LA dernière, j'avais été destituée de cette place précieuse que j'avais occupée avec l'illusion qu'elle serait mienne toujours.
Là, j'ai compris que j'aimais cette sensation de pouvoir sur son coeur, l'impression qu'il ne pourrait plus jamais aimer après moi. J'avais cru qu'il obéirait au dicton de chez moi : "fanm' sé chatèn, nonm' sé fouyapen"* qui enseigne que la femme, contrairement à l'homme, se relève toujours des ennuis.
Aucun respect des traditions celui-là !
J'en étais malade. Il m'avait remplacée.
Elle avait une voix grave, comme moi. Elle avait l'air sympa. Elle avait un boulot génial. Je ne l'ai jamais vue. Il m'avait annoncé son existence en riant, et je le connaissais assez pour savoir qu'il dissimulait mal sa gêne.
Au bout de quelques heures, ça m'est passé. J'étais contente pour lui et c'était tout. Deuil effectué.

Et puis il l'a remplacée par cette fille qui m'avait semblée faite pour lui dès la première fois qu'il m'en avait parlé, comme d'une amie.
Le temps et la proximité aidant, ils se sont aimés, dans une sorte de ménage à trois où il a d'abord accepté de la "partager" avec un Sud-Américain resté au pays. J'étais surprise qu'il accepte cette situation vaudevillesque, je l'avais connu jaloux maladif. Je me rappelle ce qu'il m'avait dit un jour : "les seuls hommes que je tolère dans ta vie c'est ton père et ton frère...et encore !" ¤ Comment avais-je fait pour supporter ça ? Mais plus mystérieux encore, comment faisait-il, lui pour contrôler sa possessivité ?
Comme il avait changé.
Il a persévéré et pour mon plus grand bonheur, ils s'étaient fait une vie à deux. Seulement à deux.
Je les ai vus une fois, avec le Loup et j'ai vu qu'il était heureux comme jamais. Nulle autre qu'elle n'aurait pu le mettre dans cet état.
J'étais heureuse, lui aussi, et après tout c'est ce que nous nous étions promis de vouloir l'un pour l'autre, non ?
Ils ont été s'installer sur la Côte. Les contacts étaient rares, c'était volontaire de ma part.
Même si nous n'étions plus que des amis et que de mon côté, il n'y a plus aucune ambiguité, je comprenais que le Loup puisse être gêné par cette relation.

Aujourd'hui, j'ai été faire un tour sur ma boîte hotmail que je n'utilise plus que rarement.
J'ai vu ce mail de lui, en sujet : un prénom accolé à son nom.
Camille.

Il est papa d'une adorable petite fille qui a son nez et cette bouche que j'ai tant dessinée et embrassée autrefois. Il y a très longtemps, tellement longtemps qu'avec les années je finis par croire que c'est l'histoire de quelqu'un d'autre.

C'est drôle.
J'ai eu le cafard.
Après être tombé sur son répondeur, j'envoie au jeune père un court mail de félicitations qui dissimule mon chagrin injustifié.

Merde !
Célia n'est pas joignable, je ne parle plus à Viv', il est trop tôt pour réveiller ma mère.
Personne à qui me confier sauf...
J'appelle le Loup. Je lui dit qu'en l'absence de confidente, il est obligé d'assurer l'intérim, ce qu'il accepte gentiment.
Je lui annonce la nouvelle en lui disant que ça me fait tout drôle, parce que j'ai connu le nouveau papa alors qu'il n'était qu'un élève de terminale, que c'était la première fois qu'un de mes amis, aussi jeune que moi, avait un enfant.
Bien entendu je me suis gardé de lui dire que, sans savoir pourquoi, ça me mettait un peu les glandes, mais je n'avais pas envie qu'il croie, à tort, qu'il y avait encore de l'amour ou de la jalousie.
Le Loup, dans sa sagesse coutumière me dit :
- il n'a pas ton âge, il est plus vieux que toi, non?
- ah ouais, t'as raison. Merci, ça va mieux, je n'ai pas l'impression d'être en retard.

Et puis, il me parle du théâtre et puis ses problèmes informatiques tout ça... Il a déjà zappé.
On raccroche. Je raconterai tout ça à Célia, j'ai besoin de ma dose de compréhension féminine.
Je réfléchis, et malgré le réconfort-minute de mon Loup, je suis toujours un peu triste, sans arriver à en déterminer le pourquoi. Un bébé, c'est bien, je suis heureuse pour eux, alors pourquoi est-ce que je sens les larmes qui montent ?

Je jette la tête en arrière, car le moindre clignement des yeux menace de me faire flancher.
Et puis, je tape cette note.

Voilà. J'arrive à la fin de la note. Je me sens bien. J'ai souri.
Je n'ai plus envie de pleurer.

J'étais triste, et je crois savoir pourquoi.
C'est la fin d'une ère.
J'ai pleuré au mariage de Vivi ¤ faut dire aussi qu'elle s'est mariée avec un foutu connard de première, j'aurais jamais dû signer le registre des témoins sous mon vrai nom, ça aurait peut-être permis d'annuler ce mariage qui partait en sucette aux dernières nouvelles ¤. J'ai pleuré parce qu'elle que j'ai connue à la même époque que lui, avait passé un cap.
Et j'ai eu un coup au coeur quand j'ai appris que Mylène que je connais depuis 17 ans (j'en ai 26) se mariait avec ce mec qui porte le même prénom que le nouveau papa et qu'elle a connu à la même époque aussi.

Nous devenons adultes. Nous nous marions, nous faisons des enfants.

Ils ont tous deux, trois, quatre ans de plus que moi. Et ça fait toujours quelque chose de voir que leurs vies ne sont pas rythmées sur le même pas que la mienne alors que nous étions dans les mêmes classes, ensemble, cherchant en commun les solutions des problèmes de maths, protestant à l'unisson contre les contrôles trop durs en sciences physiques, rentrant en groupe fatigué des cours de piscine.

J'éprouve une certaine nostalgie devant le temps qui nous éloigne de l'enfance.
J'ai tellement peur de ne pas me souvenir, et tellement peur qu'on m'oublie aussi.
C'est pour celà que j'ai besoin d'écrire. Ce qui est écrit peut laisser sa place dans mon esprit à des souvenirs nouveaux, sans que ceux-ci écrasent des données fondamentales. J'écris pour ne pas avoir à retenir des choses folles.

J'ai consulté les pages blanches, je vais appeler
les heureux parents chez eux, en espérant qu'ils seront là et que je ne réveillerai pas la petite Camille.
Et puis, plus tard, j'appelerai ma Maman-doudou, elle sera enchantée d'apprnedre la bonen nouvelle, elle me comprendra, trouvera quelques mots dont seule les mamans ont le secret. Elle se sentira un peu plus vieille, à tort. Et puis, elle me fera part, une fois encore, gentiment, de son envie d'être grand' mère elle aussi.


___
* littéralement : "la femme est une chataîgne, l'homme est un fruit-à-pain".
Pour info, la châtaigne tombée de l'arbre prend racine et fait des pousses, alors que le fruit-à-pain tombé pourrit à terre.
 

Publié dans monblognotes

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J
@CohenLeBarbare : Oui, bof, enfin, là, je disais ce que J'ai ressenti ; après, si tu te reconnais dans cette histoire, c'est que t'as probablement un grain toi aussi...
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C
C'est...<br /> T'es trop forte pour dire ce qu'on ressent.
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J
Bravo !!!<br /> Quelle maîtrise du créole !<br /> :o)<br /> Ces jours-ci j'ai souvent eu l'occasion de répéter cette phrase.
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B
et puis tiens, je vais parler comme chez toi :<br /> pa ni pwoblem............<br /> rires....
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J
Tiens, en écrivant, j'ai en effet pensé à l'histoire de ce bonsais29...<br /> <br /> Par contre, pour rien au monde je ne voudrais partager d'autres sentiments que de l'amitié : d'une part, notre histoire d'amour d'autrefois est ré-vo-lue (tant mieux, parce que nous nous faisions beaucoup de mal et j'en ai un peu bavé), ensuite, nous avons tous les deux énormément changé depuis, et puis, surtout, surtout, j'aime Le Loup plus que tout. Il n'y a que lui et c'est comme si tout ce qui s'était produit avant lui n'avait pas vraiment eu d'autre but que de me préparer à cette vie avec lui.
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