Eramos verdes
Leeloolene écrivait l’autre jour qu’un blog permettait aussi d’ « archiver ses souvenirs ».
Je crois que j’ai toujours été hantée par le fait de ne plus me souvenir un jour.
Enfin, pas toujours. Non.
Je me souviens que ma première interrogation sur le sujet, ma prise de conscience en mode élégiaque du temps qui passe, cette angoisse précoce est arrivée en cours d’espagnol, en quatrième. J’aimerais vous donner le titre exact et le livre dont état tiré le texte que nous étudiions, mais hélas, ma mémoire me fait ¤ déjà, arghhh ¤ défaut.
« Eramos verdes ».
Nous étions verts.
C’est le seul bout de texte qui me soit resté.
Je ne sais plus de quoi parlais ce texte ¤ re-arghhh… ¤. L’auteur se souvenait probablement des ses années d’écolier et la mélancolie transpirait dans chaque phrase, alors qu’il essayait de reconstituer un puzzle aux couleurs passées, dont les pièces étaient bien cachées, enfouies dans sa mémoire.
Moi,
j’étais verte comme le bois tendre.
Pas encore assez marquée par le temps et l’oubli pour commencer à regretter vraiment.
Bien sûr, dans les premiers mois qui ont suivi mon arrivée en Guadeloupe, paradis de vacances devenue terre hostile d’un exil forcé pour moi, le négatif imparfait de tout ce que j’avais abandonné de l’autre côté de l’Atlantique, j’avais cristallisé mon enfance dans l’Hexagone. Je regrettais de me trouver là dans ce trou paumé où les gens pensaient que je n’étais pas vraiment des leurs en m’entendant parler. Et puis, le cyclone Hugo a tout changé. C’est quand j’ai vu le pays dévasté par la paire de baffes que nous avions reçu que j’ai compris que cette douleur en moi ne pouvait exister que parce que j’aimais cette vie, ce pays, cette terre et ses gens. Et puis, c’est passé. Je ne regrettais pas grand chose. Si, peut-être l’époque que ma mère tentait de nous faire revivre chaque jour, l’époque qu’elle prétendait joyeuse, où mon père était avec nous, et pas à 7500 km à cause d’une mutation qui n’arrivait pas. Mais malgré les efforts maternels à nous brosser un tableau gentillet de la vie de famille, je me souvenais des cris que j’essayais de couvrir en faisant des âneries pour distraire mon frère dans son berceau, je me souvenais de cette veille de Fête des Mères où je suis allée à l’école, la peur au ventre, les yeux gonflés, le souffle court, en étant persuadée que j’allais rentrer pour retrouver le cadavre de ma mère rouée par mon père si mes tantes que j’avais appelées ne rappliquaient pas au plus vite à la maison. Alors, non, je ne regrettais rien.
Yo era verde. J’étais verte jusqu’à ce que la profesora nous prédise qu’un jour, nous comprendrions mieux ce texte nostalgique, mais que, Dieu merci, nous étions encore trop jeunes pour savoir.
Erreur ! Ce jour était venu pour moi.
La profesora était Cassandre, sa prédiction s'est réalisée.
Ah ! Comme je me moquais des adultes oublieux, les malheureux ! Ils avaient gommé leur enfance, leur vie d’avant dans le tumulte de leurs responsabilité, de leurs tracas, de leur existence de cons. Il ne se rappelait pas où ils avaient acheté telle veste ; le nom de cet ancien camarade de classe, compagnon des quatre cents coups, leur échappait, il ne savait même pas de quelle année datait cette photo !
Jusqu’à ce jour-là, je ne pouvais pas me résoudre à la fatalité de l’oubli.
Je m’écriais foutaises. On n’efface que ce que l’on veut bien, j’en étais convaincue.
Pero, yo era verde en aquello tiempo.
Oublier toutes ces choses que j’avais juré de toujours garder en mémoire ?
Laisser pâlir au point de ne plus pouvoir les lire ces phrases écrites à l’encre que je croyais indélébile ?
Laisser filer ces moments de peine ou d’allégresse qui auraient dû graver mon cœur à jamais ?
Noooooon ? Pas moi !
J'ai compris que j'allais oublier moi aussi et cette pensée m'était insupportable.
Alors, j'ai écrit.
J’aime écrire et conserver.
Peut-être trop.
Mais ça me rassure.
Et à mesure que le temps passe, à mesure que j’oublie ¤ Sigmund m’a dit que c’était salvateur ¤ j’écris et je sais que je suis devenue, à mon tour, une adulte oublieuse.
J’écris pour me souvenir et oublier. Une fois que c’est écrit, cette auto-anamnèse me purger la mémoire, et en relisant quelques-une de mes notes, mêmes récentes, je crois lire la vie de quelqu’un d’autre que je découvre avec un œil neuf. J’arrive à me surprendre souvent.
Il faudrait que j’imprime toutes ces notes. Au cas où tout planterait.
Et puis, pour moi.
Pour mes enfants ou plutôt leurs enfants si ça les intéresse.
Pour d’autres, peut-être. Des notes comme ces lettres sur lesquelles on tombe au fond de malles abandonnées dans un grenier poussiéreux.
¤ J’aime lire aussi les souvenirs des autres, c’est pour cela, entre autres, que j’ai commencé à lire le blog de bonsais29, fidèle lecteur, à son tour, de mes mots. ¤