Sinon, vous êtes...
Tout a commencé il y a quelques semaines de cela, à l'occasion d'une fête dans ma belle-famille...
Non, tout a commencé, avant.
Bien avant...
Ou peut-être encore plus tôt, mais ma mémoire n'en fait qu'à sa tête.
- C’est bon, tu peux venir avec nous, Jazz, t’es Noirte.
- Pas Noirte, Noi-reu !!!
C’était en colonie. ¤ La siiiii la sol… ¤
Je n’avais pas réussi à me débarrasser de ces deux boulets depuis le premier jour, quand les collègues de Maman étaient venues nous rejoindre à la gare.
Les deux mères avaient poussé leurs rejetons femelles vers moi, et puisque nous étions Noires dans un monde de Blancs, nous étions forcément faites pour devenir les meilleures amies du monde, des inséparables, non ?
Les mères avaient tiré mes tresses et pincé mes joues, les filles avaient détaillé ma tenue des pieds à la barrette. De vraies Antillaises.
Dans le train, j’avais vite compris que nous n’avions guère de points communs. Elles me fatiguaient avec leurs histoires de garçons, de vêtements roses. Elles étaient très familières avec moi ¤ alors que j’aurais trouvé normal qu’elle me vouvoient ¤, l’une d’elles avait même failli m’étouffer, crime de lèse-majesté, en renversant violemment la bouteille d’eau à laquelle je buvais. L’une était trop turbulente et brusque, l’autre trop molle et maniérée. Elle médisaient sur tout le monde dans un créole approximatif, juste pour le plaisir de débiter des méchancetés sans être comprises de leurs victimes.
Not my cup of tea.
Une fois arrivée, j’ai attendu qu’elles choisissent leur lit, et j’ai élu domicile dans la chambre la plus éloignée de la leur. Une bouffée d’oxygène.
Je les aurait bien envoyé paître, mais sur le quai, Maman m’avait bien recommandé d’être gentille avec elle, dans le but de maintenir de bonnes relations avec ses collègues.
- Oui, ben tu peux venir jouer avec nous si tu veux.
- Pourquoi ?
- T’es Noirte, on est Noirtes… Il n’y a que les Noirtes qui peuvent s’asseoir sur mon lit.
- Merci, c’est gentil, mais d’abord, on dit « Noire », et puis, à quoi ça sert de jouer seulement avec des Noires, alors qu’on peut jouer avec Sidonie, Samia, Natalia, et Bérangère aussi ? Elles sont sympas, même si elles sont pas Noires.
- C’est parce que Jeanne-Marie, elle a dit qu’elle voulait pas jouer avec nous parce qu’on était Noirtes.
- Noi-res.
- Oui, Noires rôôôh ! Parce qu’on était Noires.
- Ah bon ? Elle est raciste Jeanne-Marie ?
- Oui.
- Oui.
- C’est bizarre, elle m’a pas empêchée de jouer avec elle, je lui ai même prêté ma Barbiche Hawaii.
- Wow, la chance !
- Ah, non ! Pas « la chance ». Si Jeanne-Marie est raciste, il faut lui expliquer peut-être qu’elle ne sait pas que ce n’est pas bien.
- Mais on lui a déjà dit, elle ne comprend rien.
- Alors, ça veut dire que Jeanne-Marie, c’est une c.o.n.n.e.
- Hi hi hi !
- Chuis sûre qu’elle joue avec toi parce que t’es plus café au lait que nous.
- Ouais, c’est parce que t’es café au lait !
- Non, je ne suis pas café au lait, moi, je suis chocolat avec un nuage de lait. Mais bon, ça m’est égal, je suis Noire, hein, et j’ai pas très envie de jouer avec une raciste. C’est nul.
- Ouais.
- Ouais.
- Bon, j’ai un plan, on va inviter tout le monde à jouer avec nous dans la chambre.
- Même Jeanne-Marie ?
- Même Jeanne-Marie.
- Mais elle voudra pas venir, elle veut pas jouer avec nous…
- Ben, tant pis pour elle, si elle ne vient pas elle va se retrouver toute seule, toute malheureuse. On va bien voir si elle est toujours raciste après ça.
- Et si elle vient jouer quand même ?
- Si elle vient quand même, on va lui dire qu’elle a qu’à aller jouer avec les racistes.
- Ah ouais ! Bonne idée !
- Ouais, bonne idée ! Hi hi hi !
- Et puis, on pourra lui expliquer que les racistes sont pas gentils, et que si un jour, elle a des problèmes et que ses amis racistes ne sont pas là, y’a aucun Noir, aucun Arabe, personne qui voudra l’aider parce qu’elle est raciste.
J’avais un exemple précis en tête en disant ça.
En fait, j’en avais deux...