Mon CM2 (3)
Ah, vieille sorcière de Mme R. !
Mon CM2 (1) - Mon CM2 (2)
Un jour, victime dun bon petit rhume et dun début dangine, pour éviter les semonces de Mme R., jai fait de lapnée : je me retenais déternuer et de renifler, ne mouchant quà la récré, après mêtre placée hors de portée de ses oreilles bioniques.
Apparemment mon mode silencecieux était si efficace que, bien quassise à moins de trois mètres de moi, elle na pas hésité à me demander de lire ! Spécialement ce jour-là. Je n'avais rien demandé, ça me tombait dessus, spécialement ce jour-là.
Malgré ma voix de canard agonisant, je ne pouvais refuser et provoquer l'affront qu'elle attendait. Alors, jai dégluti et commencé à lire
Après trois mots tombe lapostrophe :
- Quest-ce que vous avez Chérubin* ? Vous ne savez plus parler ? On ne comprend rien à ce que vous dites, là !
- Excusez-moi Madame, mais jai la grippe € je ne faisais pas de différence entre grippe et rhume à lépoque €. Jai le nez bouché, et ma gorge
-
Allez, reprenez et articulez cette fois. Arrêtez de marmonner dans votre barbe ainsi « regnon rugnonrugnon ». Geste dimpatience.
Jai recommencé la lecture, mappliquant à maîtriser ma voix, pesant mentalement chaque syllabe de chaque mot avant de la prononcer.
Elle ne me lâchait pas :
- Je ne comprends rien, je nentends rien. Tu entends quelque chose toi, Jessica ?
- Oui madame.
Regard foudroyant de Mme R. à ladresse de Jessica, une petite camarade richissime.
- Et toi Hélène, tu es à côté delle, tu as compris ?
- Heu, non, pas trop Madame.
Fayotte ! Je regarde Hélène, tu quoque amica. Elle baisse les yeux, honteuse.
- Alors, personne ne te comprend, tu vois !
- Excusez-moi madame, mais jai la grippe.
- Tu as quoi ?
- Jai la grippe.
- Pardon ?
- Jai la grippe
€ je réfléchis à ce que jaurais pu oublier € Madame € ah, ça doit être ça €
- Ar-ti-cu-lez Chérubin. Je ne comprends rien.
- Jai-la-grip-pe.
- Elle a la grippe Madame, répéta Jessica essayant de reconquérir son siège de chouchou.
- Haaan. La grippe ? Et vous êtes obligée de faire autant de grimaces que ça, alors Chérubin ? Bon, qui veut lire la suite ? Quelquun qui sache lire
(long silence) ...correctement !
Ce jour là, j'ai compris une chose flagrante :
elle ne nous tutoyait presque jamais alors quelle le faisait avec tous les autres (sauf quand elle était colère), mais nous vouvoyait et nous hélait par nos noms de famille, à lancienne !
Là, vous vous dites, "mais t'es vraiment trop conne, tu ne vois pas qu'elle ne t'aime pas ?".
Non, à cette époque, il était inconcevable pour moi qu'un instituteur nourisse de tels sentiments vis-à-vis d'élèves.
Cest Stanie qui nous a ouvert les yeux. Elle observait, analysait puis tirait des conculsion qu'elle partageait avec ses trois compagnons d'infortune.
* Dans un souci d'anonymat évident, je me suis dotée de ce nom de famille pour le récit.