Mon CM2 (4)
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Voici le petit souvenir très drôle qui a provoqué chez moi lécriture de cette série sur mon CM2.
Bruno, lui, a commencé à lire de plus en plus souvent à partir du moment où Mme R. a compris quil muait précocement. Ses brusques changements de ton nous avait dabord arraché de petits rires au début, à lépoque je ne savais pas ce que cétait que muer, mais quand jai parlé à ma mère de la voix fluctuante de Bruno, elle ma tout expliqué.
Jai alerté toute la classe : il était « en pleine croissance », il faisait sa « puberté », expressions mythiques pour nous, étapes dun voyage initiatique du corps et de lesprit pour devenir une grande personne. Il avait commencé la route, il était « ado », un statut auquel nous rêvions tous daccéder, avec crainte et envie. Nous ne rigolions plus. Mais Mme R. ricanait toujours elle. Elle avait même demandé un jour à la maîtresse dà côté de venir écouté les incontrôlables variations de la voix de Bruno. Les deux cruelles et vieilles rosses avaient ri à lunisson.
Nous étions gênés et tristes pour lui, mais Bruno était dune bonne composition, cétait un clown. Il sen fichait. Cétait peut-être comme ça quon réagissait quand on était ado, pensions-nous.
Dès que Mme R. sabsentait pour aller discuter avec sa commère, la maîtresse de la classe voisine, disparaissant par la porte mitoyenne entre nos deux salles de classe, Bruno se levait, se mettait face à nous, devant le bureau de Mme R. et sescrimait dans une démonstration de cet art désormais connu sous le nom de « air guitar », en chantant « la Bamba » à mi-voix.
« Palalala la Bamba, palalala la bamba » chuchotait-il dans un amphigouri chanté aux vagues accents espagnols.
Il nous faisait tous rire aux éclats. Surtout quand il esquissait des pas de danse entre le rock acrobatique et la samba.
La première fois, je lai trouvé fou de faire ça. Je me disais : Si Mme R. le voit, il risque la peine maximum, là !
Mais Bruno était malin : il avait observé que Mme R. revenait toujours par la grande porte dentrée, le toc-toc de ses chaussures à talons nous prévenant de son retour, et, sécurité supplémentaire, le petit Germain, qui était assis le plus près de la porte, faisait office de sentinelle et annonçait discrètement le retour de la harpie, et tout rentrait dans lordre. Nous affichions des mines de petits anges concentrés, tout à leur travail et Mme R. semblait ny voir que du feu.
Conscients des remontrances quelle pourrait nous adresser si elle nous surprenait en train de rire « bêtement », pétrifiés à lidée de la punition qui pouvait frapper Bruno si ses exploits étaient découverts, nous riions pourtant tous ri aux larmes mais sans bruit, devant ce spectacle irrésistible de drôlerie. Je dirais même que la proximité du danger nous donnait peut-être davantage lenvie de rire : si Mme R. venait à savoir, les heures de classe à venir seraient un enfer, alors, nous devions vivre et rire tout notre soûl, tant que nous le pouvions.
Mais voilà, un jour, Mme R. est revenue par la porte mitoyenne. Ce nétait pas le plan, elle partait par là, mais passait toujours, TOUJOURS par lautre chemin pour revenir.
Après avoir papoté à côté, Mme R. sétait glissée à notre insu dans la classe par la porte mitoyenne alors que nous étions captivés par le numéro de Bruno. Soudain, Mario, un cancre joyeux, a fait « attention ! » pour nous prévenir, cest là que nous avons tous vu, sauf Bruno, le bas du corps de Mme R. cachée derrière le tableau à roulette, doù elle observait la scène.
Sta-tu-fiés !
Nous faisions tous des signes, des yeux ronds, il fallait que Bruno sauve sa peau au plus vite.
- M. Untel*, quest-ce que vous faîtes là ?
-
Il avait sursauté.
- Alors ?
- heu, rien Madame.
- Retournez à votre place !
Elle avait lair amusé. Elle devait se délecter de la punition quelle allait nous infliger, car nous allions payer, tous, nous en étions certains.
Mais elle na rien dit.
Elle sest assise à son bureau, a ri de bon cur, secoué la tête en disant « vraiment, hein ! Je ne mattendais pas à celle-là ! »
Le reste de laprès-midi s'est passé sans aucune mention de l'incident. Rien.
Nous attendions que le ciel nous tombe sur la tête.
Certains ont même fait des signes de croix, récité des Notre-Père à la récréation.
D'autres, comme le petit Patrice, se demandaient comment ils allaient présenter la nouvelle punition à leurs parents.
Mais Mme R. nétait pas fâchée. Nous navons jamais été punis. On ne saura jamais pourquoi. En revanche, pendant longtemps, nous nous sommes tenus à carreau, craignant un retour de bâton qui ne vint jamais. € Il n'est de pire pression que celle qu'on s'impose. Finalement, elle a réussi nous punir d'une certaine manière. €
Aujourdhui, quand je repense à Bruno en train de se trémousser dans ces petits shorts pour notre plus grand bonheur, jen pleure encore de rire.
Ca, cest mon plus beau souvenir de ce CM2.
à suivre...
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* Ouais, anonymat tout ça, bla bla bla... (en même temps, je ne me souviens plus de son nom de famille.)